Michel Butor, livres objets, livres d'artistes

La collaboration Butor/Dorny ou Le livre en mouvement

Introduction à l' Exposition :

Butor/Dorny: Livres d'artistes 

(mai -juin 2013 Médiathèque d'Orléans)

 

Les premiers livres d’artistes réalisés ensemble par l’écrivain Michel Butor et le plasticien Bertrand Dorny ont vu le jour au milieu des années 80. La somme de ces livres d’artiste dépasse aujourd’hui  la centaine, et cette collaboration Butor-Dorny est une des plus prolifiques parmi les nombreuses autres collaborations artistiques de Butor avec les autres peintres. Pour Dorny, qui a aussi travaillé avec d’autres écrivains et poètes (Bernard Noël, Michel Deguy, Charles Juliet, Guillevic…), la collaboration avec Butor est  la plus importante en volume et la plus régulière, ce qui permet de souligner au passage l’affinité et la fidélité de ces deux personnalités, une proximité liée à la même génération d’après-guerre, et une sensibilité commune devant un monde en constante transformation.

Ils se sont rencontrés à Nice, où Butor résidait à l’époque,  par l’intermédiaire du libraire et galeriste  Jacques Matarasso, alors que tous deux avaient déjà un parcours important en matière de travail en collaboration et une notoriété dans cette pratique. Il était même étonnant qu’ils ne se soient pas rencontrés auparavant dans la mesure où ils furent tous deux de jeunes parisiens de l’après-guerre fréquentant, dans le Quartier Latin, le milieu des artistes et des intellectuels.

On sait que dans cette collaboration Butor-Dorny, c’est presque toujours le plasticien qui propose d’abord son travail à l’écrivain. C’est lui qui a « la main ». Le support de départ efface donc le vertige de la page blanche, si toutefois le problème se posait chez Butor ; on peut dire en tout cas que c’est uniquement pour répondre à des propositions d’artistes et amis, tels que Dorny, que Michel Butor écrit encore aujourd’hui. C’est pour répondre aux plis et replis des pages de Dorny, à la multiplicité de leur feuilletage,  à l’originalité de leur découpage, et à la gamme infinie de leurs textures et couleurs, du velours noir au papier-miroir éblouissant, que Butor ne cesse d’explorer les moyens de son expression poétique.

On reconnaitra une œuvre de Dorny grâce en particulier à la multiplicité des plis du papier à l’intérieur même des pages, ce  qui l’oriente de prime abord vers l’abstraction. Il faudrait faire une typologie de ces plis, mais les plus remarquables sont les plis en relief qui installent sur la surface de la page de nombreuses dénivellations fines et nous obligent à une grande attention pour distinguer les strates de papier et souvent de texte. Les zigzags partent dans tous les sens et nous obligent à la concentration, à la vigilance : des qualités nécessaires aussi bien sur le plan manuel que sur le plan intellectuel.

Ces zigzags dessinent des parcours labyrinthiques de matières, de couleurs et finalement de texte. La surface de la page prend une nouvelle dimension et glisse vers le monde réel. D’ailleurs les droites sont presque toujours altérées, chez Dorny,  par de légères courbes, la multiplicité des plis et des variations de plan font que la césure entre le livre et le monde n’est plus aussi rigide : il y a un dégradé qui fait qu’une continuité s’instaure peu à peu entre le monde et le livre, et parfois le livre reflète concrètement le monde. Pour Butor comme pour Dorny le livre n’est pas du tout coupé du monde mais il doit agir sur le monde pour le rendre meilleur.

Lucien Giraudo