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Julius Baltazar

 

Julius Baltazar ou la conquête et l’offrande

 

Le nom du peintre

Julius Baltazar est un peintre, graveur et lithographe français, né en 1949. L’une de ses particularités cependant est d’avoir, très tôt dans sa carrière, travaillé avec des poètes et des écrivains de renom pour réaliser des livres d’artistes d’une qualité exceptionnelle.

Son nom singulier lui fut attribué par Salvador Dali lorsque le jeune Hervé Lambion faisait ses classes comme apprenti joaillier. Ce baptême surréaliste a eu une efficacité bien réelle, car en associant au prénom d’un empereur romain le nom d’un roi mage, il permet de souligner deux caractéristiques essentielles de Baltazar dans sa collaboration avec les écrivains: deux caractéristiques en apparence contradictoires, à savoir la conquête et l’offrande; conquête en effet de la page puisque la peinture sature presque toujours la page blanche des livres et la recouvre totalement; et d’autre part offrande car le livre d’artiste est un moyen de partir à la recherche de l’autre: il s’agit d’offrir à l’autre un livre en l’attente du Verbe, de l’offrir en vue de susciter la Parole de l’Autre.

L’univers de Julius Baltazar a été tout d’abord influencé par l’esthétique surréaliste, et l’on peut rappeler que ses premiers travaux sur papier furent achetés par Marx Ernst. Puis il fut inspiré par le mouvement de l’abstraction lyrique et du paysagisme abstrait représenté en particulier par des peintres importants comme Olivier Debré (1920-1999), Zao Wou-ki (1920-2013) ou encore Pierre Dmitrienko (1925-1974) que Baltazar a pu fréquenter et dont il est devenu l’ami. Il convient aussi d’évoquer l’influence du groupe des Nuagistes, mouvement pictural qui se fit connaître à partir des années 60 et dont le nom indique de façon suffisamment claire le thème de prédilection; on peut citer en particulier René Laubiès ou encore Frédéric Benrath, tous deux amis de Baltazar, lesquels ont aussi réalisé des œuvres en collaboration avec Michel Butor.

Mais il faudrait remonter à une époque antérieure et en particulier aux dessins, aquarelles et lavis de Victor Hugo d’abord et du peintre anglais Turner ensuite, pour bien cerner les influences lointaines de la peinture de Baltazar. Butor parlant de la peinture de Baltazar relève cette dernière influence pré-impressionniste mais il en propose aussi une autre plus ancienne et plus classique: «C’est une peinture, dit-il qui me fait penser à Turner à cause de ses orages et de ses marines, mais aussi et surtout à Claude Lorrain à cause des perspectives. Ce sont des gestes, direz-vous, mais des gestes de perspectives avec glissements de terrain, raz-de-marée, plissements alpins et geyser du Yellowstone. Donc des perspectives multiples et mouvantes pour capter une lumière toujours changeante».

Julius Baltazar a commencé à proposer des livres d’artistes à des écrivains vers la fin des années 70. Le premier ouvrage qu’il a réalisé ainsi s’intitule Ardeur: il s’agit d’un livre manuscrit avec huit lavis d’encre accompagnant un texte de Guy Marester, et dont le titre sera déterminant pour ce type de collaboration artistique puisque, depuis cette époque, Baltazar n’a jamais cessé de multiplier les rencontres avec les écrivains et poètes. Si l’on considère sa seule collaboration avec Michel Butor on constate que, depuis 1978 jusqu’à aujourd’hui, elle totalise environ 180 livres, à quoi il faudrait ajouter de nombreuses peintures écrites. Il est vrai qu’il s’agit là d’une des collaborations les plus importantes et les plus régulières. Mais ce travail de collaboration concerne de nombreux autres partenaires de Baltazar depuis Arrabal jusqu’à Salah Stétié en passant par Michel Déon et James Sacré, auxquels il faudrait ajouter Luis Mizon et Kenneth White, car les complices étrangers sont fort bien représentés dans ce travail en commun.

Écrivains et poètes interviennent le plus souvent à travers l’écriture manuscrite et les livres sont réalisés généralement à deux ou trois exemplaires (rarement à plus d’une douzaine). Lorsque le livre d’artiste est imprimé, ce qui est assez rare, il dépasse généralement la vingtaine et peut atteindre parfois un tirage de quelques centaines d’exemplaires. C’est quasiment toujours Baltazar qui confectionne le livre artisanal (pliure des papiers, couture des pages,…) et le propose à l’écrivain; l’artiste peut faire appel à des techniciens du livre (relieur, typographe et imprimeur) pour des projets plus élaborés

La plupart des livres d’artistes sont réalisés par Baltazar dans son atelier près d’Ile Rousse en Corse, bien que ses toiles et son travail sur la page fassent davantage penser à la côté atlantique qu’il a connue et parcourue dans son enfance (notamment pendant ses vacances à la Baule, lors de promenades à travers les marais salants, au milieu des roseaux), fasciné par les effets de scintillement sur l’eau et les trouées de lumière dans les ciels gris.

L’univers pictural de Baltazar intéresse les écrivains car il associe des aspects contradictoires. Guillevic déclare ainsi que «Baltazar est toujours en partance; sur le point de partir et d’arriver en même temps», et, dans le même sens, on peut dire que certaines de ses pages peintes ou de ses toiles peuvent représenter à la fois des crépuscules du soir et des crépuscules du matin. René Pons  distingue pour sa part une tension entre le raffinement et la violence qu’il décèle chez le peintre où, dit-il, «derrière l’élégance, l’économie et la maîtrise, se dissimule la brutale et vitale nécessité de maculer l’insoutenable blancheur du vide et de l’ennui». Néanmoins une alliance des contraires s’installe entre ces aspects opposés, ce que note Philippe Delaveau qui observe que l’œuvre de Baltazar ajuste une «danse immobile» qui réunit «deux lieux, deux temporalités –le transitoire et l’éternel-», reprenant par là les notions essentielles de l’esthétique baudelairienne. Enfin Salah Stétié est sensible à cet univers pictural qui lui permet d’approcher la «complexité de l’élémentaire» que sont pour lui «le paysage, le cosmos, la vie».

Comme il arrive souvent les partenaires de l’œuvre en collaboration partage une vision de la création artistique qui est ouverte sur les autres arts. Ainsi Michel Butor a répété à plusieurs reprises qu’il aurait aimé être peintre (voire musicien), et c’est sans doute cette vocation manquée qui souvent peut expliquer cette pratique de la collaboration artistique parfois difficile à comprendre pour un public conditionné par le système traditionnel des beaux-arts où les disciplines sont soigneusement distinguées et marquées par de nettes frontières. Baltazar pour sa part, est un peintre lettré, amateur de textes poétiques et, par là, sensible aussi à la musique. Il «touche» la guitare et surtout il peint des guitares. Le blues, qui met justement en valeur cet instrument, est sa musique de prédilection. Les poètes qui travaillent avec lui évoquent souvent cette dimension musicale de sa peinture: musique du vent, musique des vagues, musique de la nuit qui «souffle à l’oreille des matelots que la mer touche à sa fin» (Guy Goffette). Quant à Georges –Emmanuel Clancier, il interroge ainsi le monde de Baltazar: «Aux portées du ciel ou de la mer/ Quelles nuances quelles musiques/ Viendront s’inscrire pour exalter/ La mémoire et l’avenir du jour.»

Lucien Giraudo

Crédit photo : (c) Rurik Dmitrienko

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